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Communiqué   10/01/2006

Image                 NATURELLEMENT 

Notre triplette de pipelettes des hautes collines de la Côte d’Azur,
s’alanguit au soleil de janvier, sous un ciel d’azur immaculé… Il fait
si beau en ce début d’année que philosopher sous l’olivier n’est que
pur plaisir, surtout lorsque Maurice Chaudière, éminent défenseur
de la nature, se joint à la conversation ! 

Thierry: Salut Jean, en plein labeur ?
Jean: Un labeur qui, pour beaucoup, compte pour du beurre : j’observe…
T: Et je peux te dire que c’est là toute la différence entre une action ciblée, réfléchie, une amélioration aboutie et un acte de travail anodin voire inconséquent.
J: Pas une once d’hibernation, toujours prêt à rebondir le Thierry, en effet: l’observation, la vraie, celle qui prend son temps, celle qui compare, qui enregistre, qui ouvre des perspectives au travers des questions qu’elle suscite est une forme de respect préventif.
Pierre: Que je veux mes aïeux, le respect de toute vie, en vérité je vous le dis, commence par l’observation et non par le préjugé, le raccourci: c’est un nuisible, si tu ne traites pas t’as plus rien, un sauvageon, une racaille, une mauvaise herbe, il faut l’éliminer, où j’ai mis mon Kärcher???
J: Au fait, Thierry, pour couper court à la spécialité de Pierre: « la politique sur le grill » appelée poétiquement la « Pierrade-politicienne », parle-nous de Rosine ta petite fille,  qui vient de naître… 
T: Ben vé, elle est tout bonnement merveilleuse et je la respecte au plus haut point, puisque je n’arrête pas de l’observer dès que sa mère me la confie, tout confit d’amour que je suis … à mon âge!
P: Hé les vieux amoureux de la vie, les râleurs du genre humain pétris d’humanité, vous parlez d'amour? En cette période de voeux que désirer de mieux!!! 
T: Mais au fait, Jean , ce Maurice Chaudière dont Pierre avait fait ses gorges chaudes qu’en est-il ?
J: C'est la surprise de l’épiphanie, il est de l’autre coté de l’arbre, à nous écouter divaguer sur la nature humaine.
Maurice Chaudière: Bonjour messieurs, afin de poursuivre votre discours sur la nature, il faut que je vous dise que pour moi ce qui est sauvage… c’est la nature. Il y a toujours Nature et Culture. L’homme, est d’abord sauvage, il est un animal et puis à un moment il découvre la Culture. Ce qui le distingue de la bête, c'est sa Culture. Prendre des cailloux pour en faire des pointes de flèche, c’est déjà de la Culture.
T: C’est vrai, minot j’ai essayé et quel boulot ma mère a eu pour me soigner mes petits doigts meurtris!!!
MC: Peindre des bisons comme ceux de Lascaux c’est merveilleux,non? L'intelligence pour moi c'est retrouver l'ordre antérieur...Il fallait de l'instinct pour reconnaître les nutriments indispensables à la vie...L’animal a cette compétence. Il n’a pas besoin d’un traité de botanique pour savoir. L’abeille non plus;quand elle butine, elle va droit au but. Donc l’animal, grâce à cette compétence, a survécu des temps les plus lointains à nos jours, en s'accommodant des nutriments qui vont lui permettre de croître et de s'accomplir, de vivre tout simplement. Car on est fait de ce qu’on mange…
J: Cela me rappelle le film documentaire Super Size me de Morgan Spurlock (1). A force de manger, trois fois par jour chez Mac Do pendant un mois, il s’est totalement bousillé la santé.
MC: Je n’ai pas vu ce film mais c’est vrai qu'au XXI ème siècle, on est toujours fait de ce qu’on mange; mais ce qu’on mange est plein de produits incroyables, modifiés, stabilisés, stérilisés... enfin toutes les images de la mort, alors qu'on devrait se nourrir de la vie.
J: Je reviens sur ce film, le supplément le plus étonnant de tous, nous montre que les frites du Mac Do ne pourrissent toujours pas après trois semaines passées sous une cloche de verre!!! C’est pire que la mort çà, c’est de l’embaumement chimique ou de l’irradiation à la Tchernobyl (ne vous inquiétez pas braves gens)! Quid de notre corps-consommateur??? D'ailleurs le numéro de janvier de 60 millions de Consommateurs nous alerte sur les surdoses de pesticides dans nos légumes "si bons pour la santé quand ils ne sont pas traités", sinon...rincez-les, c'est tout ce qu'ils ont trouvé!(2)
MC: Or les abeilles, si vous les lâchez dans un univers cohérent, c'est-à-dire propre, elles se nourrissent de vie et elles apportent la vie…Manger les produits de la ruche c'est une façon de se régénérer surtout s'il s'agit de gelée royale. Ce qui m’intéresse en toute chose c’est cette ressource sauvage qui est, en gros ce que vous appelez nature. Moi je l’appelle planète, ou biosphère...
Or la planète, on la perturbe autant qu’on peut. S ‘accommoder des perturbations qu'on lui inflige c'est se dégrader soi-même. Moi, j'ai l'impression de vivre à contre-courant: je reste à l’affût de tout ce qui est sauvage, c’est mon centre d’intérêt permanent. Pour vous donner un exemple: il y a quelques temps, j’étais au Canada et j’ai rencontré un bonhomme qui adore les courses en traîneau. Il a donc beaucoup de chiens. Mais la neige, en été il n’y en a pas, alors les chiens sont attachés à des troncs d’arbres car si on les laisse entre eux ils se bouffent, ils sont très sauvages. Au milieu de tous ces chiens, il y avait apparemment un loup. Et moi, dès que je vois la nature sauvage, je fonds, ce loup qui n’était pas tout à fait un loup mais qui avait des gènes de loup, d’un père ou d’un grand père, c'était une merveille: le poil, les oreilles courtes…  j’étais en admiration devant cette bête. Il était furtif, émotif, inquiet...j’ai tendu la main vers lui et, comme s'il reconnaissait une complicité, il est venu me lécher, tout de suite...Je suis tombé en amour comme on dit là-bas! Le trappeur m’a dit: C’est le meilleur de ma troupe.
J: A ce sujet, en France, et ce dans différentes régions, le loup pose beaucoup de problème, les bergers le vomissent, bientôt la loi leur permettra de les tirer. Pour les ours, les chasseurs s’en occupent, Cannelle en a fait les frais. La réintroduction de « grands prédateurs » est contestée, l’angoisse moyenâgeuse surgit au fond des bois. Des Maurice Chaudière il y en a fort peu en ce moment !!!
MC: Possible, toujours est-il que pour moi la beauté est sauvage. Je trouve qu’un chacal ou un loup c'est plus beaux qu'un chien, qu’un pigeon biset est plus beau qu’un pigeon paon. Je ne le fais pas exprès ce n’est pas une volonté, c’est comme çà. Je n'y peux rien, je vis ainsi, cherchant toujours sous la Culture, la Nature. Or je suis sculpteur, je transforme la matière. D'une certaine façon je perturbe moi aussi l'ordre qui m'émerveille. Je ne suis donc pas hors de cause! Je suis un fauteur de trouble, comme tout le monde! C'est là peut-être ma condition d'homme... 
 J: Le propre de l’homme, c’est d’être bourré de contradictions, d’ailleurs ce sont elles qui nous font progresser, nos remises en questions visent à trouver un nouvel équilibre toujours précaire, à moins que l’on sombre dans la certitude sectaire: je ne vois et je n’entends que ce qui conforte mes certitudes, rien d’autre ne m’importe, je résiste à toute perception qui pourrait me mettre en contradiction!!! Fini le maillage, le métissage, l’effet papillon qui butine de fleurs en fleurs différentes, je n’évolue plus, je rejette… Où j’ai mis mon Kärcher, n’est-ce pas Pierre?
MC: Donc, je m’intéresse aux ressources sauvages et y a plein de gens qui viennent me voir à cause de çà…En revanche, ce qui est paradoxal c’est que tous ces gens qui veulent me rencontrer, ils le souhaitent pour le côté sauvage de ma nature, alors que pour communiquer, ils sont tous à me demander d’avoir Internet, d’avoir un portable...ils me forcent à m'accommoder de cette technoculture qui me fait peur. Et je suis pris au piège, car je ne sais pas me servir de ces machines-là… 
 P: Ne m’en parlez pas, je fais un stage d’informatique, mais moi mes mains se sont adaptées aux outils de la terre, mes doigts se sont musclés avec le sécateur, alors la « souris » me trouve pas assez délicat, le poignet pas assez souple pour travailler correctement et l’animatrice se moque gentiment de ma dextérité à faire pâlir Bill (Gates) le vrai sauvage de la super culture!!! 
 MC: Moi aussi, je sombre dans le ridicule mais, il faut croire qu’il y a un courant à notre époque puisqu’on me demande de tous les côtés: le Cambodge, l’Inde, la Tunisie, l’Algérie, le Maroc, la Guadeloupe. Je dois bientôt retourner au Québec, aller dans le Chiapas, et partout, je rencontre à peu près le même public, comme si chacun rêvait d'une révolution...Comment changer de système? Comment produire une nourriture propre? Comment vivre de qualité? Comment éhapper à cette dégradation ambiante?  
 T: C’est exactement la révolution que vit la Gazette, beaucoup de ses lecteurs assidus recherchent les mêmes choses, parlent de solutions pour leur environnement proche… 
 MC: En fait, on aime ce qui est singulier et pour faire du fric il faut faire du pluriel… Il faut faire passer le singulier au pluriel!
On demande à l'artiste d'innover, on aime la singularité dans l’art, mais rares sont ceux qui peuvent en vivre. L’artisan est assez artiste pour s'émerveiller devant une oeuvre d'art. Il est aussi assez habile pour l'imiter, la copier. Mais sa production est limitée à sa performance physique. Et l’industrie, elle, se sert du test d’opportunité que représente la réalisation artisanal pour la stéréotyper. On est passé de l’archétype au prototype au type et au stéréotype... C'est avec le stéréotype qu'on fait du fric. Si vous voulez un exemple, rien ne ressemble plus à l’œuf d'une poule qui est en batterie, nourrie de granulés et qui pond sur un grillage des centaines d'oeufs par an qu’un autre œuf, d’une poule qui court dans les champs… Ils se ressemblent, c’est la même image, mais ce qu’il y a dedans ce n’est pas du tout pareil: au goût on ne s'y trompe pas! Il en est de cet élevage comme de la planche à billet, c’est une forme d'inflation... Le productivisme est fatalement inflationniste. Je peux me tromper, mais voilà c’est ce que je constate… 
T: Nous aussi! Image
MC: Donc moi, j'essaie de vivre autrement: regardez autour de vous, il y a plein d’herbes, on marche dessus, sans y prêter attention, alors que c’est souvent une nourriture extraordinaire, pleine de vitamines et de sels minéraux, cela agit sur le foie, sur ceci sur cela on peut se soigner avec, sans oublier des teintures pour la laine…
J: La prairie est une source inépuisable de richesses délaissées…
MC: Ainsi les abeilles, quand on les laisse dans un lieu non cultivé, elles se régalent de cette richesse. Si vous les mettez sur un champs de tournesols (non traité au Gaucho) elles arrivent à récolter du miel, parfois beaucoup de miel, et du pollen, mais cela va durer quoi, quinze jours, grand maximum, et si vous laissez votre ruche là, elle va crever parce qu’elle aura rien d’autre. Sur ces champs labourés, déherbés, il ne pousse rien d'autre, il n'y a qu’une seule espèce, on a tué totalement la biodiversité et les abeilles vont en mourir… C'est symptomatique, si l’abeille a pu accompagner l’homme depuis la préhistoire c'est grâce à la biodiversité de leur environnement commun. Les hommes comme les abeilles ont besoin pour vivre de la profusion d'une Nature propre. Quand il n'y a plus d'autre nature que la nature de mon voisin, on a tendance au cannibalisme, ce qui ne manque pas d'arriver avec le surpeuplement en espace confiné. Si des poulets, sont trop nombreux à vivre en cage, ils finissent toujours par se bouffer entre eux: la seule nature qui leur reste accessible, c'est le poulet.
Alors, si on en est là qu’est-ce qu’on fait? Moi j'essaie de vivre à contre courant  avec des gens qui respectent la nature en eux, parce que la nature elle n’est pas seulement hors de soi mais aussi en soi. Il faut accorder le dedans au dehors. La vie n'est pas seulement celle de l'homme... C'est comme un case communiquant: si vous détruisez la nature dehors, c’est vous qui payez. Si les hommes n’ont pas compris cela, c’est triste et ça pourrait bien s’aggraver. Voilà c’est mon point de vue, on n’est pas obligé de le partager.
J: Moi, je souhaite que nos dirigeants politiques, surtout ceux qui font et défont la loi d’orientation agricole viennent vous rencontrer, parce que, la dernière mouture en date abolit le reste de sauvage de l’élevage: « La loi a prévu d’interdire aux vaches et aux taureaux de convoler naturellement à parti de 2015! »(3)

(1)Super Size Me, Film de Morgan Spurlock,USA 2004, en DVD chez Diaphana 
(2) Outre "60 millions de Cons...mateurs" il existe le Mouvement pour les Droits et le Respect des Générations Futures qui lutte aussi: www.mdrgf.org
(3) Article " La loi d’orientation agricole a oublié… l’agriculture" de Jacques Maret dans l’Ecologiste n° 17  déc 05/janv/fév 06

 


 


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